À la fin des années 90, la démocratisation des téléphones portables et la publication de plusieurs études scientifiques poussent le Centre international de recherche sur le cancer (IARC) à réaliser une étude d’envergure sur les dangers du téléphone portable.
L’étude Interphone voit ainsi le jour avec pour but de répondre à la question suivante : il y a-t-il un lien entre tumeur intracrânienne et téléphone portable ? Toujours utilisée à l’heure actuelle comme étude de référence, ses résultats sont toutefois plus que mitigés.
Conception de l’étude Interphone
L’étude Interphone est une étude de cas-témoins. Elle se concentre sur des patients déjà diagnostiqués avec des tumeurs intracrâniennes (diagnostic entre 2000 et 2004) et pour lesquels on a remonté l’historique médical. Les patients de 16 centres (dans 13 pays), atteints de tumeurs intracrâniennes, âgés de 30 à 59 ans et vivant dans des régions urbanisées ont pu participer à l’étude. Pour chaque patient identifié, un « témoin », un volontaire sain, lui a été attribué. Le témoin présente les mêmes caractéristiques que le patient : même âge, même région, même origine ethnique…
Les données quant à l’utilisation du téléphone portable sont ensuite recueillies par le biais d’un interrogatoire. Combien d’appels en moyenne, durée des appels, depuis combien de temps le sujet utilise-t-il le téléphone portable… L’historique d’usage du mobile par le sujet est passé au crible.
L’objectif est ensuite de comparer l’utilisation du mobile entre les personnes ayant des tumeurs intracrâniennes et le groupe témoin. Les personnes avec des tumeurs cérébrales ont-elles plus utilisé le téléphone portable que les autres ? Le téléphone portable peut-il être un facteur de risque du développement de telles tumeurs ?
Résultats de l’étude Interphone
Les résultats de l’étude Interphone sont souvent assez mal traduits. La conclusion la plus raccourcie qu’il soit serait de dire que l’étude n’a trouvé aucun lien entre téléphone portable et tumeur intracrânienne, sauf peut-être pour les utilisateurs les plus intensifs.
Ce n’est pas tout à fait ce que dit l’étude. Si l’on se concentre uniquement sur les résultats, sans les interpréter, voici ce qu’il en ressort, grossièrement :
- Le téléphone portable n’aurait pas de lien avec le développement de tumeur intracrânienne SAUF…
- … pour les utilisateurs les plus intensifs de téléphone portable, chez qui les risques de gliomes sont plus importants
- …pour les non-utilisateurs, qui eux semblent plus en danger que ceux qui utilisent régulièrement le téléphone
Ce dernier résultat parait plus qu’étonnant et met la puce à l’oreille des scientifiques : le téléphone portable protégerait donc des tumeurs dans certains cas ? En réalité, certainement pas ! Les scientifiques de l’étude expliquent que ce résultat témoigne de plusieurs biais qui faussent la donne. Le faible taux de participation des volontaires sains couplé au fait que les patients atteints de gliomes entrent régulièrement dans la catégorie des « non-utilisateurs » à cause des symptômes de leur maladie les empêchant d’utiliser le téléphone font que le résultat est complètement biaisé.
C’est probablement le cas aussi de tous les autres résultats de l’étude. Cette nuance est importante : tous les résultats de l’étude. Pas seulement le résultat concernant les risques accrus de gliomes pour les usagers les plus intensifs. Le fait que le téléphone n’ait aucun lien avec les tumeurs doit également être remis en cause.
La vraie conclusion de l’étude Interphone
Comme l’explique l’équipe en charge de l’étude, l’étude souffre de plusieurs biais, entre autres :
- On demande à des personnes de se souvenir des appels passés il y a un certain temps, pas simple…
- … surtout pour des patients atteints de tumeurs intracrâniennes parfois symptomatiques
- Certaines données semblent aberrantes (plus de 10h d’appel par jour pour certains)
- Les non-utilisateurs sains ont refusé plus que les autres de participer
- La variable étudiée est le temps d’appel cumulé, qui n’est pas forcément l’information dont on se souvient le mieux
Ces biais invalident les résultats de toute l’étude. La conclusion n’est pas « Pas de lien entre tumeurs et téléphone portable car les résultats sur les utilisateurs les plus intensifs sont biaisés » mais « Impossible de conclure sur le risque de tumeur intracrânienne lié au téléphone avec cette étude ».
L’étude Interphone ne permet pas de tirer la moindre conclusion sur cette problématique. L’absence de conclusion ne veut pas dire qu’il n’y a aucun risque mais simplement qu’on ne sait pas s’il y a un risque ou non. Les chercheurs ayant réalisé l’étude invitent à poursuivre les recherches afin d’obtenir d’autres résultats qu’ils espèrent plus concluants.
10 ans après, faut-il toujours s’y fier ?
10 ans après la publication de l’étude, cette dernière est toujours utilisée comme référence (avec une interprétation parfois hasardeuse) dans le domaine. Mais est-ce vraiment pertinent ?
10 ans, c’est long. C’est long pour la science, qui a publié d’autres articles depuis. Mais c’est surtout très long pour la téléphonie mobile. Interphone s’intéresse à des données datant du tout début des années 2000. La technologie mobile et notre façon d’utiliser le téléphone ont complètement changé depuis. De plus, Interphone ne donne aucune donnée sur les enfants ni sur l’utilisation à long terme du téléphone (plus de 12 ans).
Si l’étude fait référence en mettant en avant les problèmes méthodologiques auxquels sont confrontés encore et toujours les scientifiques, l’utiliser pour répondre à l’époque de la 5G à la question de la santé et des ondes paraît quelque peu dépassé.